Uniformiser les esprits au paradigme des dominants

Publié le par 問道

   Etienne de la Boétie écrivit en « Pour que les hommes, tant qu’ils sont des hommes, se laissent assujettir, il faut de deux choses l’une : ou qu’ils y soient contraints, ou qu’ils soient trompés. »[1] Les pauvres, en effet, sont dupes vis-à-vis de l’école. Ils s’imaginent que leurs enfants doivent « bénéficier » d’une véritable scolarité.  Illich parle des pays qui découvrent la pauvreté modernisée (par rapport à la pauvreté traditionnelle : « Leurs citoyens ont appris à penser comme des riches, tandis qu’ils vivent comme des pauvres »[2]. C’est effectivement, un système qui enseigne la légitimité d’une forme de domination : l’école obligatoire nous enseigne que le plus diplômé par elle, a une autorité légitime sur ses moins diplômés. Ce peut-être effectivement une idée qui peut sembler positif, l’idée que l’on privilégie la « culture » sur « l’ignorance », à condition que l’on occulte le côté social du problème.

   Ici, être « plus instruit » signifie « avoir passé le plus d’année d’études dans le système ». Et Illich analyse le fait qu’il est plus facile d’être un des plus instruit, quand on vient d’un milieu économiquement et socialement favorisé. Ils vivent en effet dans un environnement plus favorable culturellement que celui issu d’un milieu modeste, qui lui ne peux compter que sur l’institution pour ça. C’est aussi la culture et les canons des dominants qui sont enseignés à l’école, ceux dans lesquels sont baignés les enfants issus d’un milieu dominant. Par exemple, en classe de musique, on y enseigne le solfège et la musique classique, mais aucune chanson populaire. Il y a des cours de piano ou de violon, mais aucun cour d’instruments populaires.

      Ce problème se pose aussi à l’échelle de pays et de sphères de civilisation. En Amérique du sud, Illich affirme que c’est le canon nord américain qui sert de définition à ce qu’est « l’éducation ». Au Japon, dés le secondaire, à côté de l’histoire du Japon, on enseigne l’histoire occidentale, mais jamais l’histoire du continent (Chine, Corée). Depuis Mao, République populaire de Chine, l’objectif de l’école public obligatoire, est d’enseigner la supériorité et l’infaillibilité de cette idéologie purement occidentale (n’en déplaise aux adeptes), qu’est le marxisme léninisme[3]. Depuis, un « revival confucéen » semble pointer son nez en Chine, mais il s’agit d’un Confucius aux canons américains « pragmatisé » à la doctrine de Dewey qui est présenté, promu et vendu.

   Outre le problème des canons enseigné, l’auteur de ce livre évoque le problème économique. Il importe de savoir que ce sont les étudiants qui restent le plus longtemps dans le système qui bénéficient le plus des budgets et des aides. Ainsi, sachant qu’il est plus facile d’étudier dans le système quand on vient d’une famille favorisé, et de faire des études prolongées : les impôts de tous, servent à payer l’instruction des plus aisés[4]. Aussi, 10% des familles les plus riches payent un enseignement privé, tout en bénéficiant d’une part des ressources 10 fois plus grande que la part pour éduquer les enfants les plus pauvres. Cela du fait qu’ils font des études prolongées. En Amérique latine, un étudiant diplômé coûte environ 300 à 1500 fois plus chères qu’un homme lambda.

   Ce système permet d’installer une ségrégation « non dite ». Dans un état moderne, parler de ségrégation ou de « société de caste » est tabou.  Nous cette réalité économique de l’école, ajoutée aux canons dominants, l’illustre pourtant. Aussi, les élites des Etats asiatiques, Africains ou autres, brillent par leurs diplômes universitaires américains (Harvard, Yale), anglais (Cambridge et Oxford) ou français (Sorbonne, ENA), fussent-ils portent de kimono, keffieh ou autre. Alors que les conceptions des pauvres modernisés restent nationaux, le système de caste se construit à des échelles hors de vue : à l’internationale.

   Un tel système semble donc, pour Illich une absurdité économique. En effet, son coût surpasse les recettes de l’Etat et à vocation à augmenter de façon exponentiel. Pour cause, l’école ne peu répondre aux attentes de plus en plus forte, qu’elle engendre dans l’esprit des gens. C’est un cercle vicieux :


Figure 1 Cercle vicieux des attentes et des dépenses

cerclevicieux

 

   Outre la ségrégation non dite, ce système engendre une démission de l’intelligence, discrédit du système sensé promouvoir ce modèle. L’idée de « scolarité égale pour tous » est donc une absurdité économique, qui pourtant est maintenu et entretenu par l’élite adepte de la théorie du « rationalisme et du réalisme économique ». Si l’auteur de ce livre défini la pauvreté comme « l’impossibilité d’agir socialement », l’école engendre d’avantage de pauvreté. Ceux-ci, effectivement, en faisant confiance aux institutions n’osent pas prendre en main leur éducation (ainsi que leur vie sociale). Il est répandu l’idée que seule l’école obligatoire peut éduquer. Cette monopolisation de l’éducation et des taches éducatives enlève à la vie sociale, politique, les loisirs, et même le travail, ses valeurs éducatives.

   Pour illustrer le rôle de contrôle que joue l’école, le penseur donne un exemple concret : Le docteur Hutschnecker, psychanalyste de Richard Nixon avait l’idée de soumettre à analyse tout enfant de 6 à 8 ans. Il s’agissait de dépister d’éventuelles tendances agressives, afin de prescrire des traitements et si nécessaire, des séjours en institutions spécialisées ou « camps de rééducation ». Elu, Richard Nixon soumit l’idée à son secrétaire à la santé, à l’éducation et aux affaires sociales. Aussi choquant que puisse paraître l’idée, c’est d’après Illich, une amélioration du système de l’école obligatoire, du point de vue de l’idéologie de l’enseignement obligatoire institutionnalisé.



[1] Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, disponible en ligne sur : http://fr.wikisource.org/wiki/Discours_de_la_servitude_volontaire

[2] P. 21

[3] Jacques Guillermaz, Histoire du Parti Communiste Chinois vol. 2 le Parti Communiste Chinois au pouvoir 1er octobre 1949 au 1er mars 1972, Paris : Payot, 1972 p. 344

[4] Les écoles privées reçoivent des subventions de l’Etat

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