Le marché et le droit

Publié le par Winston Morgan Mc Clellan

   Cette neutralité de principe ne suffit cependant pas à rendre le pouvoir réellement neutre. Il faut construire cette neutralité et lui donner forme concrète. Pour remplacer la morale, les philosophes du mouvement dit des « Lumières », vont penser deux entités qui seront au centre de la vie des hommes : Le Droit, et le Marché. La société de Marché, c’est une société qui a pour base anthropologique l’idée que les hommes sont naturellement enclins à échanger, animés par leur intérêt personnel. Voltaire dit « quand il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion »[1]. Le génie ce cette idéologie sera alors de remplacer un objet de discorde, par un objet de convoitise, l’argent, afin d’instaurer une grande et définitive paix. A partir de cette posture, se construit une vision de l’humanité des plus lugubres ; chaque être ne serait qu’une monade, c'est-à-dire des êtres uniques, isolés moralement et mentalement, et donc la vie sociale ne serait qu’un simple réseau d’interconnections. Un peu comme un réseau téléphonique. Nous n‘échangeons ainsi que des informations et nos rapports à autrui qu’une question d’intérêts personnelles, dans un but de gains. Le Marché est le lieu de rencontre où tous ces intérêts sont censés s’harmoniser, par la magie de la « main invisible ».

 

   Le droit se donne pour mission d’organiser les communautés humaines. Traditionnellement, les sociétés s’organisent avec un arsenal législatif à minima. C’est la reconnaissance, la coutume, le rituel, la morale et ce qu’Orwell et son disciple Michéa appellent « décence commune », qui organisent la vie du groupe. Cette absence de législation développé et cette faiblesse institutionnelle, rend la communauté d’autant plus vivante[2], qu’elle vie par l’engagement quotidien de ses membres. Une telle société nie par définition l’idéologie de l’homme monade, qui ne serait une réalité qu’en tant que résultat d’une entreprise d’ingénierie sociale et mentale. Une société de droit ou un Etat de droit, c’est un Etat ou les règles de la vie en groupe ne sont plus basées sur ce que les membres ont en commun, sur des critères d’éthique ou de morale. Ce sont des critères basés sur « la neutralité morale », « la raison », et « la recherche de l’intérêt et du bonheur de tous »[3] qui seront les critères législatifs. Le droit n’est plus alors une question d’ordre philosophique, spirituelle ou de décence, mais une question qui se veut « scientifique » : la « science du gouvernement », que l’on appel aujourd’hui « gouvernance ». Il ne s’agit plus de la loi d’un peuple pour vivre selon sa façon de se concevoir en humain, mais la loi d’institutions, qui uniformisent à l’échelle universelle, puisque scientifique[4]. Ce droit est fondamentalement individualiste. On parle de déclaration des « droits de l’homme et du citoyen », ou de « droit de l’homme », et jamais de « droit des hommes » ou « droit du peuple ». Comment pourrait-il en être autrement, puisqu’à la base, l’anthropologie du législateur est basée sur l’idée d’un homme atome ?



[1] Lettre à Mme. d'Épinal, Ferney (26/12/1760) à partir de Voltaire OEUVRES COMPLETES: Correspondance (Garnier Frères, Paris, 1881), vol. IX, lettre n ° 4390 (p. 124).

[2] C’est ce qu’ici j’ai appelé « démocratie réelle » ou « substantive », par opposition à la démocratie formelle, sorte de coquille vide institutionnelle sans sens et sans saveur.

[3] Le « tous » ici signifiant « tout les monades », et non les peuples ou le peuple.

[4] Donc, pas à débattre. Le scientisme social signifiant qu’il n’existe pas de possibilité de débats sur des questions de société, comme une obligation d’accepter. Pouvons-nous débattre de la loi de l’apesanteur ?

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